La lettre et la photo est une newsletter irrégulière pour les amateur.ices de photographie et plus largement, pour les personnes curieuses d’une pensée en mouvement. Vous pouvez partager ce post sur les réseaux sociaux, le transmettre par SMS ou mail aux personnes qu’il pourrait intéresser. Merci pour votre lecture.

Bonjour !
Avant de démarrer ce nouvel essai, je voulais vous transmettre à nouveau le lien vers ma précédente lettre. J’y explorais les notions d'appartenance et de communauté, à l'appui de mon projet A Place I Can Call Home. À ce propos, si vous êtes un.e professionnel.le de la photographie, vous pouvez télécharger le dossier de diffusion que je viens de rédiger à votre attention.
Aujourd’hui, j’avais envie de partager avec vous quelques savoirs chauds, autrement dit des expériences personnelles, ainsi que quelques savoirs froids. Je fais ici référence à des apports théoriques ou historiques qui ont nourri et continuent de nourrir ma pensée.
Mettons en premier lieu les choses au clair : je n’ai pas grandi dans un contexte militant, ni dans un environnement qui produisait de la pensée sur lui-même. Au contraire, dès que j’ai commencé à poser des questions sur les problématiques de violences sexistes au sein de ma propre famille, j’ai systématiquement été renvoyée à cette phrase, qui a le pouvoir de tuer dans l’œuf la moindre velléité de dialogue : “Tu sais, ils sont comme ça”. Je cite ici ma très chère maman faisant référence à ses frères. “Ils ont toujours été bagarreurs. À l’école ça posait problème parfois”. Puis ces jeunes garçons bagarreurs sont devenus des hommes, puis des pères et enfin des grands-pères. Enfant, je me souviens avoir assisté à des scènes de conflit ou de violences fraternelles (la frontière est ici ténue) lorsque les questions politiques s’invitaient à la table des grands rassemblements familiaux. Dans ma famille, les violences ont toujours été banalisées, parce que “C’est comme ça. Ils ont le sang chaud”. Polissons et mettons l’affaire sous le tapis !
Des années plus tard, ce sont les violences conjugales qui se sont invitées à la table familiale.
Une tante qui quitte son foyer. Un oncle blâmé. Un couple qui reprend le cours de sa vie sans nouvelle mention de violences. On dit que l’oncle ne boit plus et que tout s’est arrangé. À l’époque, je me souviens très bien que l’on fait référence à cet épisode comme d’un acte isolé. “Ça serait la première fois”. Jeune et ignorante en matière de violence, j’adhère à ce contrat.
À la lumière de ce que je sais désormais des violences au sein du couple, je me dis qu’il est impossible que ma tante ai quitté ce jour-là son foyer à la première manifestation de violence.
Faisons un petit détour théorique.
De quoi parle-t-on lorsque l’on fait référence aux violences conjugales ? D’abord, battons en brèche une idée reçue : les violences au sein du couple ne se limitent pas aux violences physiques. En effet, celles que l’on a longtemps nommé “des femmes battues” sont en fait des femmes victimes de violences qui prennent diverses formes.
Ces violences peuvent être psychologiques (critiques, dénigrement, insultes, isolement, menace, chantage affectif, humiliation, contrôle, harcèlement…). Insidieuse, cette forme de violence ne se voit pas, mais elle atteint profondément l’estime de soi. Les violences peuvent également être physiques (gifler, secouer, mordre, griffer, brûler, étouffer, bousculer, frapper avec un objet...) ou sexuelles (actes sexuels commis avec contrainte, menace, pression ou surprise, viol, rapport sexuel violent, positions forcées,…). Elles peuvent aussi être économiques (privation de ressources financières, interdiction de travailler, obligation à rendre des comptes…). Le passage à la violence physique au sein du couple amène parfois les victimes à prendre conscience qu’elles subissent des violences. Est-ce ce qui est arrivé à ma tante ?
Je vous invite à découvrir et partager autour de vous cet outil d’auto-analyse pour savoir si votre couple est basé sur le consentement et ne comporte pas de violence : le violentomètre.
“Puis un jour, j’ai changé de paire de lunettes…”
Je ne suis pas devenue féministe du jour au lendemain. J’ai longtemps refusé ce terme que je considérais comme une insulte. “Mais non, je ne suis pas féministe, j’te jure !” renvoyais-je à l’époque à des amis hommes qui tentaient de me définir comme tel. Puis, il y a eu Me Too. La parole des femmes a commencé à se libérer. Des livres de référence ont été traduits. Des ouvrages et des podcasts ont permis, à des milliers de femmes comme moi, d’embrasser la pensée d’un féminisme humaniste, critique, joyeux et intersectionnel (je définirai plus bas ce terme).
Le truc, c’est que lorsque l’on commence à regarder le monde avec une nouvelle paire de lunettes, il est impossible de revenir en arrière…
Tout a démarré pour moi, il y a quatre ans.
J’ai subitement commencé à me sentir très mal à l’aise dans des contextes qui convoquaient des hommes blancs plus âgés que moi, en situation de pouvoir (le président d’un festival photographique, le directeur d’une saison culturelle, le directeur d’un centre photographique, notamment). De ces échanges verbaux, consentis ou non, je repartais désormais avec un goût amer et la sensation étrange d’avoir été dépossédée de quelque chose. D’une identité propre et valide ? D’une part de confiance en moi ? D’une légitimité à exister et à penser en toute liberté ?
L’accumulation de ces expériences, dans un temps relativement restraint, à cette période de ma vie, s’est révélée salutaire. Je vivais désormais, avec mes nouvelles lunettes, dans un monde où je pourrais opposer à ces émotions invalidantes des actes et des mots qui me redonneraient le pouvoir, celui d’être l’égale de ces hommes, du moins, en théorie.
Puis, il y a eu lors d’un débat enthousiasmant et un peu animé, avec certains de ses proches, le geste de mon père aimant. Sa main se posant délicatement sur mon bras, comme pour me dire sans mot : “Ma fille, je t’aime mais calme-toi. Prends moins de place s’il te plait.” Je me souviens avoir rejeté ce geste doux et banal avec une certaine violence, alors débordée par l’oppression qu’il charriait et ce qu’il incarnait de façon si juste : un système que l’on nomme patriarcat, autrement dit, la domination des hommes sur les femmes. L’injonction faite aux femmes à se faire discrètes et à entrer dans le rang, bien gentiment.
Pour être honnête avec vous, toutes ces expériences ont contribué à ma libération, même si, l’une d’entre elles, s’est toutefois avérée traumatique.
Je suis enthousiasmée par les possibles réinventions qui s’offrent à nous, femmes et hommes allié.es, personnes non-binaires ou trans, en termes de relations affectives et amicales. Je suis aussi terriblement attristée par les violences que j’observe, des plus banales au plus révoltantes. Aussi, il m’a semblé nécessaire de partager avec vous mon éveil féministe et d’officialiser aujourd’hui ma sortie du placard : oui, je suis plus que jamais féministe !
Je faisais référence plus haut à l'intersectionnalité. Un féministe qui se dit intersectionnel est un féminisme qui prend en compte les nombreuses discriminations supplémentaires (en plus du sexisme) dont sont victimes les femmes au quotidien. Elles peuvent concerner l'âge, la race (dans son acception sociologique), le handicap ou encore le milieu social d'une femme. Le féminisme intersectionnel invite à une convergence de l'ensemble des luttes contre les discriminations dont les femmes et les minorités de genre sont victimes.
Se définir comme féministe, ce n’est pas vouloir en finir avec les hommes, mais c’est vouloir bâtir un monde sans domination d’un groupe sur un autre, un monde exempt de violences.
Avec ma fabuleuse collègue Armandine Penna, nous nous apprêtons à animer une deuxième série d’ateliers auprès d’auteurs de violences sexistes et sexuelles. Celle-ci aura lieu au Centre de détention de Nantes. Nous avons eu le privilège d’intervenir auprès de victimes ces deux dernières années au sein de Citad’Elles à Nantes (un lieu pour les femmes victimes de violences). Nous sommes heureuses de poursuivre notre projet Ouvrir Le Diaphragme en travaillant auprès des victimes et auprès des auteurs. Les auteurs* de violences sexistes et sexuelles ont aussi besoin d’être accompagnés pour sortir de la violence, notamment, afin qu’ils ne produisent pas de nouvelles victimes.
*Certaines victimes de violences sexistes et sexuelles sont des hommes. Certains auteurs de ces mêmes violences sont des femmes. C’est rare, mais il est important de le noter.

De mon côté, je suis au tout début d’un parcours joyeux et créatif, intellectuel et pratique, qui m’amène à opposer à l’hétéronormativité et à l’hétérosexualité de nouvelles expériences, idéalement exemptes de toutes formes d’oppression, en tout cas c’est l’idée. J’aurai l’occasion d’y revenir plus tard.
Je vous laisse avec de la matière à réfléchir, à rêver, à créer.
ADELINE
Partages et prolongements
Des podcasts en veux-tu en voilà !
Les couilles sur la table par Victoire Tuaillon
Un podcast à soi par Charlotte Bienaimé
La poudre par Lauren Bastide
Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour ? par Ovidie (LSD, La série documentaire)
Et bien d’autres à découvrir !
Des livres féministes (essais, BD, etc.) :
King Kong Théorie par Virginie Despentes
Sorcières. La puissance invaincue des femmes par Mona Chollet
Un féminisme décolonial par Françoise Vergès
Beauté fatale : les nouveaux visages d'une aliénation féminine par Mona Chollet
L'origine du monde par Liv Strömquist
Les monologues du vagin par Eve Ensler
Nous sommes tous des féministes par Chimamanda Ngozi Adichie
Des livres pour réinventer nos relations affectives :
Sortir de l’hétérosexualité par Juliet Drouar
La volonté de changer : les hommes, la masculinité et l’amour par Bell Hooks
À propos d’amour par Bell Hooks
Futures - Comment le féminisme peut sauver le monde par Lauren Bastide
Le génie lesbien par Alice Coffin
La chair est triste hélas par Ovidie
Des hommes justes : Du patriarcat aux nouvelles masculinités par Ivan Jablonka
Masculinités de Raewyn Connell
Et bien d’autres livres à découvrir. Je ne cite ici que ceux qui me viennent en tête de l’autre bout de l’Atlantique, que j’ai lus et appréciés. La liste d’ouvrages qu’il me reste à lire est encore longue…
Belles découvertes à toutes et tous !
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