*Simple
Je viens de passer une journée les pieds dans la neige, sous le soleil hivernal du Vermont. Vues pittoresques et scènes de vies idéalisées ou idéales - selon - une échappée vitale pour faire le plein de vitamine D au beau milieu de l’hiver.
*Rebond
Dans quelques semaines, c’est en Tunisie que j’atterrirai (plus à se soucier de la vitamine D n’est-ce pas ?) pour une résidence d’un mois au côté de l’artiste Amira Lamti. À Sousse, nous déploierons notre recherche accueillie par la Villa Salammbô et l’Institut Français de Tunisie. Chic !
*What else?
Le 3 janvier dernier, nous avons inauguré la première exposition de mon projet A War On Us accueilli pour deux mois par le Centre Photographique du Vermont. L’accrochage et les re-tirages se sont fait en douceur : la fluidité et l’écoute étaient au rendez-vous. Yep !
*Oui mais ?!
Dès le lendemain matin - jour du vernissage - je me suis retrouvée dans un état de deuil et de doute. Welcome sweet little bipolar.
Après avoir été habitée tant d’années par ce projet, je m’attendais à être traversée par ce qui, d’une certaine manière, peut s’apparenter à un post-partum.
Mais…
Un : Je ne m’attendais pas à être assaillie avant même le vernissage.
Deux : Je n’ai pas vu arriver à grand pas ces doutes quasi existentiels :
À quoi ça sert tout cela ?
Est-ce utile ce que je fais ?
À quoi bon ?
Ne devrais-je tout simplement pas reprendre un job et rentrer dans les rangs ?
What the fuck!?
Huit jours d’un vent glacial et autant à remettre en question ce qui pourtant oriente ma vie depuis maintenant huit ans.
Puis,
le vent s’en ai allé et les doutes avec.
Est-ce utile ce que je fais ?
À quoi bon ?
Ne devrais-je tout simplement pas reprendre un job et rentrer dans les rangs ?
Si je n’ai toujours pas les réponses à ces questions, elles me traversent pour l’heure sans me faire vaciller.
Je prends. C’est déjà cela.
À quoi bon ?
À cette réponse j’oppose l’éthique du Care et commence à plonger dans les pensées et les écrits de Maggie Nelson, Carol Gilligan et Fabienne Brugère.
Et si le geste artistique en lui-même, avant toute matérialisation de l’œuvre, pouvait avoir plus de valeur que l’œuvre elle-même, une valeur supérieure à celle qui lui est accordée par le marché de l’art ou au travers de la réputation de l’artiste ?
Travailler auprès de personnes et communautés rendues vulnérables mobilise une attention constante à l’autre. En pensant bien faire, en espérant être utile, je ne suis pas à l’abri de re-traumatiser des personnes. Ce qu’il m’est possible de faire, c’est de réduire les risques et d’adopter une posture éthique. Cette approche éthique revient à s’inscrire dans une posture de réciprocité, tout en ayant conscience des rapports de domination à l’œuvre entre les personnes jouissant de privilèges - j’en fais partie - et celles dont les voix ne sont pas entendues. Cela nécessite une constante adaptation dans les prises de décision, dans les actes, encore et toujours une attention à l’autre. Cette théorie - l’éthique du Care - à laquelle j’accède au travers les pensées de ces autrices, se catapulte avec ma pratique et mes pensées. Ma démarche est bel et bien ancrée dans cette éthique. C’est de cet endroit que j’interviens. Si le vertige du déséquilibre m’assaille, c’est parce que je doute. Je comprends grâce à ces penseuses que le doute qui émerge dans l’éthique du Care est en partie lié à deux faits :
Un : L’éthique, c’est en quelque sorte le doute par nature.
Deux : La pensée du Care étant située du côté des femmes, elle est dévalorisée par le cadre de pensée dominant, car, à quoi bon porter de l’attention aux plus vulnérables ? Qu’ils entrent dans les rangs bon sang !
Plus jeune, je n’arrivais pas à me départir de la question du résultat. J’étais tellement focalisée sur le résultat que je prenais rarement du plaisir à faire. Cette approche centrée résultat m’a valut de nombreuses situations de stress dont je me serais bien passée.
Les rencontres sont au cœur de mes projets et je suis heureuse d’affirmer avec confiance qu’elles s’inscrivent dans un rapport de réciprocité. Depuis que je travaille avec des personnes et communautés vulnérables, j’ai toujours accordé de la valeur à ces rencontres, toujours eu conscience que leur impact pouvait être puissant. Je parle de cette puissance que l’on ressent lorsque, tout à coup, on se sent exister profondément et réciproquement dans le regard de l’autre. Magique !
Ce sentiment naît de l’interdépendance qui définit notre existence et que pourtant, la pensée patriarcale cherche à nier. Un bon agent social serait (selon une pensée éloignée de celle de l’éthique du Care) un agent autonome et indépendant, évoluant dans un monde où la morale et la justice définissent le cadre de pensée et d’action. Ici, pas de place pour la subjectivité et les particularismes, encore moins pour les vulnérabilités. Arh, je hais ce monde où la productivité et la norme règnent en maître !
À quoi bon!?
L’été dernier à Arles, j’ai eu la joie de rencontrer des personnes d’une bienveillance sincère et réjouissante. Ces personnes - des professionnel.les du milieu de la photographie - y évoluent, me semble-t-il, avec cette même posture de réciprocité et cette sincère attention à l’autre. De quoi faire vaciller tous ces “A QUOI BON?”
De quoi se rappeler que nous sommes nombreux.ses à produire, penser et agir à partir de cet endroit.
Yallah !
A War on Us…
what’s next?

D’EST EN OUEST : En septembre et octobre 2026, A War on Us sera exposé à Portland, dans l’Oregon. Voyage ! Une exposition est également prévu en France dans quelques mois.
THE ARTIST TALK : Dimanche dernier, une rencontre publique était organisée autour de mon exposition dans le Vermont. J’attendais avec impatience cette rencontre. Elle m’a permis d'évaluer la réception de mon travail par les communautés avec lesquelles j’ai travaillé. Elles n’étaient pas toutes représentées - merci LA tempête de neige hivernale - mais suffisamment pour que je puisse rentrer en France sereine et satisfaite des retours que l’on m’a fait. Il y a eu des larmes et des éclats de rire. C’était beau.
Le talk sera bientôt en ligne pour celleux d’entre-vous qui comprenez l’anglais.
Partages et attentions
“Quand les espaces populaires s’embourgeoisent” : LSD propose d’appréhender la gentrification à partir de quatre lieux : Saint-Ouen, Marseille, les Hautes-Alpes et le Tarn. Il s'agit d'analyser un problème systémique en le saisissant à partir d’un espace singulier et de contrer une lecture fataliste du phénomène. Une série de podcasts passionnants à retrouver sur France Culture.
Passion film : la semaine dernière, j’ai regardé les deux derniers films de Yorgos Lánthimos, Pauvres Créatures et Kind of Kindness. J’attends avec impatience la sortie de son prochain film. On y retrouvera notamment Emma Stone et Jesse Plemons.
Résister : en ces temps sombres où l’extrême droite gagne du pouvoir de part et d’autre de l’atlantique, je vous recommande le “petit” livre (il se lit vite) de la journaliste Salomé Saqué : Résister.
Les journées de la photo 2025 à Nantes : Depuis plusieurs années, aux côtés des copain.es membres de la commission des photographes du Centre Claude Cahun et de son équipe, je contribue à l’organisation et la programmation des Journées de la Photographie. Elles ont lieu cette année du 1er au 8 février. En savoir plus.
Formation et sororité : depuis l’année dernière, j’anime pour L’œil parlant et en partenariat avec amac une formation à la création de site web à destination des photographes et artistes visuels. Hasard ou pas, c’est jusqu’ici auprès de groupes entièrement féminin que je suis intervenue. Ne vous méprenez pas, tous les genres sont les bienvenus ! Pour autant, quelle joie de transmettre des compétences à mes pairs-sœurs ;-). Il reste deux places.
Chez soi : je suis passionnée par la question de l’habitat. C’est une question essentielle me direz-vous. J’ai donc envie de terminer cette newsletter par une réjouissante toute personnelle. À partir du mois de mars, j’aurai de nouveau un chez moi à Nantes, plus précisément au sein du Hameau Marvingt, un projet d’habitat participatif situé dans le quartier Bottière-Chénaie. Mon accession sociale à la propriété à été rendue possible par le dispositif PSLA et l’entreprise qui a accompagné ce projet ICEO.
À bientôt !
Au plaisir de vous lire en retour.
Take Care.
Adeline
Bonjour Adeline,
C'est toujours tellement réjouissant de te lire! Quand on plonge avec toi dans tes tourmentes, cela répond un peu aux nôtres, en tout cas aux miennes...
Et oui, pourquoi tout ça plutôt que rien...? Le sens ...
Aller! Yallah camarade!
A très bientôt